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Emilie Bonhoure*

Les conflits entre actionnaires peuvent être particulièrement délétères pour une entreprise. La plupart du temps, ils sont dus aux divergences d’intérêts entre les différents types d’actionnaires : actionnaires majoritaires ou actionnaires-managers, et actionnaires minoritaires, qui n’ont acheté que quelques actions de l’entreprise et ne peuvent donc peser sur ses décisions (sauf par la vente de leurs actions). L’intérêt des derniers implique que l’entreprise réalise les profits les plus élevés possible (ils peuvent ainsi espérer toucher des dividendes plus élevés, et surtout revendre leurs actions à un prix plus haut). Les premiers, au contraire, peuvent être tentés, du fait de leur position de managers, d’extraire des « bénéfices privés » (1), susceptibles de détériorer les profits de l’entreprise. La littérature propose diverses solutions pour résoudre ces divergences d’intérêts, en particulier le paiement de dividendes plus élevés. L’argent, distribué ainsi aux actionnaires et en quantité plus importante, n’est de fait plus disponible dans la trésorerie de l’entreprise et ne peut plus être « dévié » par les actionnaires-managers.

Dans cet article, Emilie Bonhoure étudie une autre solution susceptible de réduire les conflits entre actionnaires. Cette solution, originale, est une règle statutaire de distribution des profits de l’entreprise. Ce mécanisme, commun au sein des entreprises françaises du XIXe siècle et du début du XXe siècle, fixe, dans les statuts, la répartition des profits. En particulier, les actionnaires reçoivent, chaque année, une part des profits spécifiée par les statuts. L’auteur examine plus particulièrement les règles des entreprises françaises cotées à Paris entre 1906 et 1909. Elle montre que ces règles sont bien construites dans le but de diminuer les conflits entre actionnaires, et que cet objectif est rempli efficacement. Ainsi, les entreprises parmi lesquelles les conflits entre actionnaires sont plus sévères (2) fixent, dans leurs statuts, une part plus grande de leurs profits à distribuer en dividendes. En retour, ce paiement fixe de dividendes plus élevés contribue à diminuer les conflits entre actionnaires.
Ainsi, en promettant (et en distribuant effectivement) une plus grande part de leurs profits aux actionnaires (c’est-à-dire des dividendes plus hauts), les entreprises diminuent d’autant les montants disponibles en trésorerie. Par ailleurs, les dividendes plus importants promis par cette règle constituent un engagement à payer vis-à-vis des actionnaires minoritaires. Cela permet, d’une part, de les attirer, et d’autre part, d’inciter les actionnaires-managers à extraire moins de « bénéfices privés », pour permettre aux profits de satisfaire à cet engagement. Ce mécanisme offre ainsi une solution originale à un problème récurrent auquel font face les entreprises d’hier et d’aujourd’hui, qui en plus de la distribution d’argent (classiquement mis en œuvre dans les précédentes solutions) constitue un engagement ferme de l’entreprise vis-à-vis de ses actionnaires.

(1) En contractant par exemple avec un fournisseur faisant partie de leur réseau personnel ou dont ils sont également actionnaires, à des prix favorables pour ledit fournisseur mais à des conditions désavantageuses pour la firme.
(2) Les entreprises plus matures et ayant moins de dette, en un mot celles dont la base d’actionnaires est plus large et les conflits donc plus nombreux.

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Références

Titre original de l’article : An Original Solution to Agency Issues among Pre-WWI Paris-Listed Firms : the Statutory Rule of Profit Allocation

Publié dans : PSE Working Paper n°2021 – 04

Disponible via : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-03107869


* Chercheur PSE

Crédits visuel : Shutterstock – Sergey Goryachev